mardi 25 novembre 2008

Pas de noirs au stade

On a vu que l'élection de Barack Obama a constitué un événement historique aux Etats-Unis mais ailleurs également bien sûr. Comme je l'ai déjà écrit, pour une fois qu'avoir une peau un peu colorée constituait un atout et non pas un handicap comme trop souvent...

Je ne pense pas que cela puisse arriver en France mais le problème n'est pas là. Si déjà on ne jugeait pas les gens sur leur couleur de peau, j'en serais très contente car je ne supporte pas la moindre forme de discrimination.

Alors lire ce qui se passe en Russie actuellement me fait vraiment frémir. Voici un article intéressant du Monde relatant les problèmes des étrangers dans ce pays, en particulier au stade. Il y a déjà eu au moins 80 meurtres recensés pour cette seule année. On n'en parle pas beaucoup mais c'est vraiment très important de dénoncer ces actes et d'avoir conscience de ce qui ce passe d'abject dans un pays pas si éloigné de nous.

J'étais déjà au courant de cela ayant précédemment lu un article similaire. Mais je dois dire que ça fait au moins un an et pourtant rien ne semble réellement changer. C'est bien déplorable...

Je recopie l'article entier car je sais qu' il ne sera bientôt plus accessible donc ça ne sert à rien de donner un lien.


Pas de Noirs au stade

SAINT-PÉTERSBOURG (RUSSIE) ENVOYÉ SPÉCIAL

Il n'a pas senti la lame lui percer le dos, ni lui trouer le ventre. "Je croyais que je recevais des coups de poing", sourit aujourd'hui Maira Mkama. A sept reprises, un des trois skinheads lui perfore le corps. Dans cette ruelle sans lumière, dans le nord populaire de Saint-Pétersbourg, il est à terre. Sur le bitume gelé, les crânes rasés le cognent, sans bruit, sans insulte. Les coups volent, les minutes aussi... Maira arrive enfin à hurler. Aussitôt les assaillants s'évaporent.

C'était le 11 novembre 2007, il était à peine minuit. Maira Mkama, 24 ans à l'époque, devait rejoindre un copain pour boire des bières à la santé de son équipe, le Zénith Saint-Pétersbourg, qui venait de remporter le championnat de Russie. Sait-il pourquoi, cette nuit-là, il a perdu un rein ? "Oui, soupire-t-il. C'est à cause de ma couleur." Tanzanien du côté du père, russe de celui de la mère, le jeune homme a hérité d'une peau café crème.

Ses proches croient que des supporteurs racistes du Zénith l'ont attaqué pour fêter à leur manière la victoire de leur club. Lui ne le croit pas. C'était comme ça, gratuit. Il n'a pas vu de visages, juste des boules à zéro. Trop vague pour la police. Personne ne connaîtra l'identité des skinheads, mais une certitude : en Russie, être noir, c'est vivre avec l'angoisse à fleur de peau.

Le centre SOVA, une organisation de défense des droits de l'homme basée à Moscou, a recensé 86 meurtres racistes à l'encontre d'Africains ou de Caucasiens en 2007. Le directeur du centre, Alexander Verkhovsky, a déjà dénombré 80 meurtres cette année. La plupart des crimes sont commis à Moscou. Mais Saint-Pétersbourg, deuxième ville de Russie, n'est pas en reste : il y a un mois encore, un Togolais s'est fait poignarder en pleine journée. En avril 2006, un Sénégalais a été tué d'une balle dans la tête avec un fusil à pompe orné d'une croix gammée.

"Il faut toujours être sur ses gardes", martèle Désiré Deffo. Ce Camerounais de 42 ans, dont dix-sept passés en Russie, président de l'association African Center, raconte qu'il peut se rendre, tout seul, au théâtre ou au cinéma, même la nuit. "Mais, dit-il, il y a un endroit dans la ville où je ne peux pas aller, c'est au stade. Il y a un risque pour ma vie." "C'est vrai, je n'ai jamais vu un Noir dans les tribunes", s'étonne Vadim Tulpanov, chef de l'Assemblée législative de Saint-Pétersbourg, un proche du président Dmitri Medvedev et de Vladimir Poutine - tous supporteurs du Zénith.

C'est dans le modeste stade Petrovsky (22 000 places) que le Zénith vient de se faire un nom en Europe. L'équipe - la plus riche de Russie avec plus de 100 millions d'euros de budget grâce à son sponsor Gazprom - a remporté en 2008 la Coupe de l'UEFA (l'Union européenne de football) et la Supercoupe face à Manchester United cet été à Monaco... Engagée dans la prestigieuse Ligue des champions, elle accueille les grands clubs. Mardi 25 novembre, elle devait recevoir la Juventus de Turin. Le 12 mars, face à l'Olympique de Marseille, le Zénith s'est fait connaître par ses supporteurs, allergiques à la couleur. Pour accueillir les joueurs de l'OM, surtout les Noirs, des "ultras" se sont recouverts le visage de la fameuse cagoule blanche du Ku Klux Klan, ont imité des cris de singe, lancé des bananes. Dans une tribune, un singe en peluche portant le maillot marseillais a été pendu au bout d'une corde. "C'était amusant, lance Dmitri, 22 ans, un fan du Zénith qui dit appartenir à un groupe de supporteurs, les Members, proche des mouvements néonazis. C'est important de montrer aux nègres qu'ils sont des nègres. Nous sommes des patriotes de la ville, la place des Noirs n'est pas chez nous, mais dans les arbres en Afrique." C'est par téléphone que Dmitri tient ses propos. Un rendez-vous était prévu, mais il l'a annulé lorsqu'il a appris que son interlocuteur était arabe.

Amusant, le singe pendu au bout d'une corde ? Le président de l'OM, Pape Diouf, n'a pas ri. Le Zénith a écopé le 25 juillet d'une amende de la commission de discipline de l'UEFA de 36 880 euros, pour racisme. Une accusation que récuse encore aujourd'hui le club. "C'est à vous dégoûter du football", estime Pape Diouf. Cette somme "symbolique" est presque, selon lui, "une forme d'encouragement" au racisme. L'UEFA affirme avoir récemment renforcé sa législation contre le racisme : comme sanction, les équipes pourront jouer à huis clos. "On prive des clubs de millions d'euros", se félicite William Gaillard, son porte-parole. Le Zénith est aussi connu pour être l'un des rares clubs en Ligue des champions sans le moindre joueur de couleur. L'UEFA a posé la question aux responsables russes : pourquoi n'y a-t-il pas de Noirs chez vous alors qu'il y en a dans des clubs moscovites ? "On avait eu écho d'une règle non écrite dans le club : pas de Noir", confie William Gaillard. Réponse du Zénith : c'est le hasard, l'occasion ne s'est pas présentée. L'argument a du mal à passer. En 2007, l'entraîneur néerlandais du Zénith, Dick Advocaat, avait déclaré - avant de démentir - qu'il ne pouvait prendre de joueurs noirs car les fans ne le supporteraient pas.

A la sortie du terrain d'entraînement, Le Monde lui a reposé la question : pourquoi n'y a-t-il pas de joueurs noirs ? "Ce n'est pas un problème de couleur..." L'entraîneur ne finira pas sa phrase. Alexeï Petrov, son attaché de presse, coupe court à l'entretien qui venait de commencer deux minutes plus tôt, en égrenant les nationalités des joueurs du club : deux Sud-Coréens, un Français, un Argentin... "Les gens veulent dire du mal sur nous, explique M. Petrov, tendu. Il n'y a pas de racisme." Pourtant, dit-il, il y a de la prévention. Sur des panneaux publicitaires, autour de la pelouse du stade, on peut lire : "Non au racisme."

Alexander Alekhanov, le président des Nevsky Front, le plus important groupe de supporteurs, se damne pour son club, se plie à toutes ses décisions. Mais une chose l'attriste : il ne comprend toujours pas pourquoi son équipe "achète" des footballeurs étrangers - des "légionnaires". Et si demain un attaquant noir débarque au Zénith ? "C'est une question délicate, soupire-t-il. Avec les autres groupes de supporteurs, nous nous sommes mis d'accord sur une consigne : ne pas parler de ce sujet."

"Ce n'est pas la tradition du club d'accueillir des joueurs de couleur, explique un ultra, Anton Riabkov, 24 ans. Ce club, c'est notre identité." "Ne pas avoir de Noir, c'est la seule chose qui nous différencie de Moscou, notre rivale", argue Maxim Lechenko, 23 ans, un hooligan qui aime se battre contre ses homologues moscovites. "Et puis les Noirs, ils trichent, ils simulent des penalties", raconte Alla Nafanja, 28 ans, membre du 15e Secteur. Pourtant, il y a bien des joueurs étrangers au Zénith ? "Oui, reconnaît son petit copain, Dmitri, 23 ans, surnommé Chip. Mais ils sont blancs et bons."

Le Nigérian Peter Odemwingie, attaquant du Lokomotiv Moscou, assure ne pas avoir de problème lorsqu'il foule la pelouse du Zénith. Mais le joueur ne peut s'empêcher de rire en racontant une anecdote de son club. Il y a trois ans, un joueur noir a reçu une banane au stade de Saint-Pétersbourg : "Il l'a ramassée et l'a mangée !" "Le stade de foot est devenu le lieu où on affiche son nationalisme et sa xénophobie, explique Alexander Vennikov, responsable du mouvement Pour une Russie sans racisme. Le stade doit être un territoire pur. Il est même devenu une école pour tous les nazis."

Pour Jean-Michel de Waele, professeur en sciences politiques à l'Université libre de Bruxelles, "au-delà de l'internationalisme proclamé au temps de l'URSS, ça reste un vrai choc culturel pour la Russie de voir des Noirs". Selon Désiré Deffo, le président d'African Center, 3 000 Africains vivent à Saint-Pétersbourg, ville de 5 millions d'habitants. Les mentalités vont évoluer, estime-t-il : "Comme le Zénith joue de plus à plus à l'extérieur de ses frontières, le Russe devient à son tour un étranger." Dmitri, le supporteur proche des néonazis, ne comprend pas cet argument : "Un Russe ne peut pas être un étranger, c'est un Blanc."

La ville de Saint-Pétersbourg a lancé, il y a plus de deux ans, le programme "Tolérance". Deux millions d'euros par an consacrés à des expositions d'artistes étrangers, des matches de foot entre différentes associations ethniques... "Les jeunes ont été abandonnés par l'Etat depuis la chute du socialisme. Le stade est un moyen, pour eux, de se défouler, explique un des responsables de ce programme, Vladimir Mikhaïlenko. La solution, c'est de leur rendre la fierté d'appartenir à une grande ville culturelle."

Ce programme, Hamidou Bakayoko en rigole. Il est malien et vit depuis vingt-six ans à Saint-Pétersbourg. Agé de 46 ans, il est marié à une Russe, ils ont un enfant. Il est mordu de foot, mais ne mettra jamais les pieds au stade. Plombier dans le quartier de Petrogradskaya, il grille cigarette sur cigarette dans son atelier vétuste en méditant sur son sort : "La Russie, c'est pas un pays pour les Noirs. Le racisme, c'est la maladie principale ici. Je ne peux pas faire 200 mètres dans la rue sans me faire pointer du doigt."

Il met son manteau, allume une énième cigarette, et c'est parti pour une promenade. Deux cents mètres plus loin, une femme, la quarantaine, sourire moqueur, montre du doigt Hamidou à ses deux amis. "Comme un animal, souffle-t-il. Et encore, on ne m'a pas demandé si je me suis lavé aujourd'hui."

Mustapha Kessous

Article paru dans l'édition du Monde du 25.11.08.



4 commentaires:

CR a dit…

et moins "éloigné" de nous aussi...

cya a dit…

Merci pour le lien, j'étais pas au courant. Mais je ne comprends pas pourquoi tu as écrit moins éloigné car pour moi les Etats-Unis sont plus loin de nous que la Russie :p

CR a dit…

Oui c'est vrai lol, c'est pour ça que j'ai mis les guillemets! Mais je voulais dire moins éloigné au sens figuré, on se sent peut-être plus proches, nous français, des américains, que des russes... Enfin c'est mon cas! De toutes façons, je suis certain que même en France on trouve de tels individus...

cya a dit…

Ah ok. Non ce n'est pas mon cas! C'est peut-être parce que tu as vécu quelques temps aux Etats-Unis... Mais bon même si je vivais là-bas je pense pas que j'en aurais une opinion modifiée.

Enfin je me sens pas proche de la Russie avec ces problèmes de xénophobie ou qd ce pays attaque la Georgie par exemple. Pour autant non, je ne me sens pas proche des Américains non plus surtout depuis ces dernières années.