Cette semaine "La Ballade de l'impossible" est sorti au cinéma. Ce film est adapté du roman de Haruki Murakami. Je l'ai lu il y a quelques années. Même s'il était agréable, ce n'était pas un de mes romans préférés de cet auteur et j'hésite encore à aller voir ce film. En tout cas, je recommanderai toujours de lire cet auteur puisque c'est un de mes écrivains favoris.
Voici donc un article du Monde Magazine que je viens de découvrir tout récemment avec notamment une interview intéressante de Murakami.
Haruki Murakami, écrivain universel
LE MONDE MAGAZINE | 11.02.11 | 18h52  •  Mis à jour le 03.05.11 | 16h35          
Haruki Murakami est un phénomène éditorial. C'est l'auteur japonais le  plus lu et le plus traduit à travers le monde. Son dernier roman, 
1Q84  (en trois tomes), s'est vendu à 4 millions d'exemplaires au Japon. En  Corée du Sud, des éditeurs ont fait assaut de propositions toutes plus  élevées les unes que les autres pour acquérir les droits de traduction,  et depuis octobre 2010 circulent des traductions pirates en chinois.
 Au total, une quarantaine de pays ont acquis les droits pour cette  trilogie dont le premier tome sortira en français, au mois d'août, chez  Belfond.
 Pourtant, en dépit de ce succès et des rumeurs qui circulent chaque  année sur la possibilité qu'il reçoive le prix Nobel de littérature,  Haruki Murakami reste d'une surprenante simplicité – comme étranger à la  figure littéraire qu'il est.
 Ce n'est pas un homme de médias : il ne passe jamais à la télévision,  n'aime guère les interviews et encore moins les photographies, dit-il,  pour s'excuser d'avoir tardé à accorder cet entretien : "Si on commence, on n'arrête plus et ce n'est pas très passionnant", dit-il.
 Dans son bureau, situé dans un petit immeuble du quartier bon chic  bon genre d'Aoyama à Tokyo, c'est un Japonais d'une cinquantaine  d'années qui nous reçoit, affable et souriant, en jean et pull-over, la  barbe naissante, qui pourrait très bien être le patron d'un bar de jazz  qu'il fut autrefois.
 Par son ironie détachée, jamais malveillante, ses digressions imagées  et ses métaphores, reflet de cette oscillation entre réalité et fiction  qui caractérise son écriture, il esquisse le malaise de la société  contemporaine sous une quiétude de surface. Il laisse souvent une phrase  en suspens plutôt que refermer une question sur une réponse péremptoire  – comme dans ses romans, finalement : "Je ne sais pas quand l'histoire s'achève mais je sais que pour moi elle est finie et j'arrête là."
 RÉCITS PARALLÈLES
 1Q84 est l'aboutissement littéraire du travail sur lui-même  auquel l'ont conduit deux événements qui se sont produits à quelques  mois de distance en 1995 : le séisme de Kobe (dont il est originaire) et  l'attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo.
 "Au fil des années, les fantômes personnels de ses héros ont cédé  la place à ceux de l'histoire collective, les intrigues ont gagné en  maturité mais la même musique légère, rythmée, envoûtante, continue à  résonner de livre en livre", souligne Corinne Atlan, qui a traduit une dizaine de ses romans dont Sommeil, une nouvelle du recueil L'Eléphant s'évapore qui vient d'être publiée à part, dans une édition illustrée par le dessinateur allemand Kat Menschik (Belfond).
 Elle entretient une tendresse particulière pour La Fin des temps (Seuil, 1992), "une  œuvre des débuts, pleine de fraîcheur et de poésie, dans laquelle  apparaît pour la première fois la structure de récits parallèles. Haruki  Murakami a l'art de rendre lumineuse la langue japonaise pourtant  réputée pour son ambiguïté. La transposition en français de cette  écriture limpide qui prend souvent pour objet le vague, l'ombre,  l'onirique, demande un travail 'en écho'  et oblige parfois à des  détours".
 L'entremêlement des récits comme des hasards, le surgissement du  fantastique au creux du quotidien : Haruki Murakami parle du monde  contemporain, de son écriture, de lui-même avec une distance  bienveillante – comme si ne comptaient vraiment que les choses les plus  simples de la vie.
Votre dernier livre, 1Q84, évoque les deux drames  qui ont secoué le Japon en 1995 – le séisme de Kobe et l'attentat au gaz  sarin dans le métro de Tokyo par la secte Aum. Comme dans vos œuvres  précédentes, nous pénétrons dans un monde dont le sens se dérobe mais  qui résonne des problèmes de la société contemporaine. Est-ce exact ?
 Haruki Murakami : A la suite de ces événements, puis  de l'attentat du 11-Septembre, je suis devenu plus sensible aux  problèmes de société. Le séisme de Kobe comme l'attentat d'Aum – des "bombes à retardement"  que notre société a elle-même amorcées – marquent la fin d'une époque,  celle d'un Japon au système social solide, rigide. Depuis, on ne peut  plus penser le monde de la même manière et on doit être conscient du mal  qui sommeille en chacun de nous.
 Dans 1Q84, un des personnages est un extrémiste "illuminé" comme ceux d'Aum…
 Ce qui m'intéressait, c'est l'instrumentalisation des aspirations de  ses membres pour construire un empire souterrain à partir de chimères. A  la suite de la "bulle spéculative", du séisme de Kobe et de l'attaque  d'Aum, la quiétude qui régnait au Japon s'est évaporée. Le 11-Septembre  n'a fait que confirmer la perte du socle sur lequel nous pensions nous  tenir solidement. A cette impression de confiance s'est substituée celle  du chaos.
 En même temps, le système de communication et d'information était  bouleversé par Internet. Nous vivons aujourd'hui dans la civilisation  numérique, un monde submergé par la mondialisation, gavé d'informations  et de signes, et il est de plus en plus difficile de discerner ce qui  est juste ou non. A la mort des grands récits s'est ajoutée la  déréalisation des rapports sociaux. Et il est aussi plus facile d'être  manipulé.
 D'où le clin d'œil du titre de votre livre à George Orwell : Q se prononce "kyu" en japonais, ce qui signifie aussi 9. 1Q84 se lit donc 1984…
 La grande différence entre mon roman et l'œuvre d'Orwell tient au  fait qu'il écrivait une histoire qui se déroulait dans le futur alors  que moi, je recrée des événements passés qui marquent notre présent. En  1949, Orwell décrivait un système totalitaire. De nos jours, il n'y a  plus de système à proprement parler, mais des situations qui évoluent  d'un moment ou d'un lieu à un autre, s'enchaînent en un mouvement  incessant dans lequel vacillent les repères. L'instabilité et la  fluidité nous emportent.
 En outre, de nos jours, contrairement au monde d'Orwell, le mal  totalitaire avance masqué : il est plus insidieux, plus souriant, la  morgue plus anonyme. Mais notre époque est aussi plus chaotique et,  personnellement, je crois que l'on peut chercher une vérité dans ce  chaos : rien n'est jamais blanc ou noir…
 Qu'entendez-vous par "époque chaotique" ?
 Les situations s'enchaînent sans logique apparente. Coïncidences,  réalités et irréalités interagissent, se chevauchent et se confondent  sans que la limite entre les deux soit claire : on ne sait jamais quand  on la franchit. Il y a vingt ans, on me critiquait pour ce brouillage  des repères entre réalité et irréalité. Mais beaucoup partagent  désormais ce sentiment…
 Ce qui est réel me semble parfois irréel, et inversement. Quand  j'écris, j'écris ce qui me paraît réel, mais en fait, ce n'est pas  forcément le cas. Lorsque j'ai vu les avions percuter les tours du World Trade  Center, cela m'a semblé irréel : c'était une sorte d'hyperréalité,  issue d'un travail infographique… Il n'y a pas de définition du réel. Ce  que l'on prend pour tel est toujours faussement lisse. D'une situation  anodine est toujours prêt à surgir l'irrationnel, l'absurde.  Perpétuellement, quelque chose nous échappe…
 Quand vous avez recueilli les témoignages des victimes de la secte Aum, pour Underground (1997, non traduit), vous avez quand même essayé de reconstituer une "réalité" ?
 Ce que je voulais comprendre, c'est ce qu'elles avaient éprouvé.  Peut-être n'était-ce pas la vérité, la réalité des faits, mais ce  qu'elles reconstruisaient de cette réalité. Mais peu m'importait : ce  que je désirais connaître, c'était "leur" histoire. Qu'elle soit vraie  ou non. Si vous avez eu une grande frayeur dans une rue déserte une  nuit, vous risquez de décrire l'individu qui vous a attaqué comme un  homme fort, menaçant. En réalité, c'était peut-être un petit mec  insignifiant. Mais vous l'avez "vu" grand et menaçant : c'est "votre"  histoire. Et c'est celle que je veux entendre.
 En tant que romancier, ce qui m'intéressait dans cette soixantaine  d'interviews que j'ai faites des victimes d'Aum, c'était une "vérité  collective", celle qui émerge de leurs récits. J'ai essayé d'entrer dans  leur cœur, de sentir leur peine.
 Vous avez traduit dans votre jeunesse des auteurs américains  comme Fitzgerald, Irving, Chandler… Vous connaissiez mieux la  littérature américaine que celle du Japon ?
 Je me suis plongé dans cette littérature parce que j'aime le jazz :  c'est ce qui m'a conduit à lire des auteurs américains. Ensuite, je me  suis marié. Ma femme avait une riche bibliothèque de romans japonais, je  me suis mis à les lire…
 Et aussi Franz Kafka, dont le nom figure dans le titre d'un de vos livres, Kafka sur le rivage ? C'est un auteur qui est très important pour moi. Je l'ai lu quand  j'étais adolescent. J'ai été fasciné par son monde. Tranquille en  surface et en même temps violent, irrationnel. Un monde chaotique, sans  doute proche du mien. Quand je me suis rendu à Prague pour la première  fois, j'ai été surpris par l'atmosphère de cette ville qui, soudain, me  semblait si familière.
 Vos romans sont généralement longs. Mais vous écrivez aussi des nouvelles.
 Pour moi, l'expression longue est la meilleure. Quand j'étais jeune,  j'aimais déjà les romans-fleuves, ceux de Tolstoï, Dostoïevski, Balzac,  Dickens. Les nouvelles ? C'est amusant. Quand je suis fatigué, j'écris  des nouvelles…
 Lorsque vous commencez un roman, avez-vous en tête le déroulement de l'intrigue ?
 Non. Quand je commence à écrire, je n'ai aucun plan. Ma tête est vide. J'avance à l'aveuglette dans mes propres ténèbres. Pour 1Q84,  j'avais la première scène : dans un taxi pris dans les embouteillages à  Tokyo en écoutant de la musique classique. Je ne sais pas ce qui va se  passer dans mon roman. J'ai simplement confiance dans le fait que je  pourrai le finir. J'ai confiance mais je n'ai pas encore d'histoire !  Aujourd'hui, j'ai écrit trois pages, je ne sais pas encore ce que ce  sera. C'est excitant de ne pas savoir ce qui va se passer dans la  fiction que vous êtes en train d'écrire. Je m'endors le soir avec les  personnages en tête et, le lendemain matin, soudainement, ils sont prêts  à s'animer. Je ne sais comment font les autres romanciers mais, pour  moi, c'est ainsi.
 Vous êtes sans doute le plus traduit des romanciers japonais  et, en même temps, vous restez en marge de l'establishment littéraire.  Par choix ?
 J'ignore si c'est un choix. Simplement, je ne me sens pas appartenir  au cercle littéraire japonais. Et je suis bien ainsi. Mon style est  différent de ceux des auteurs japonais. Et je n'ai aucune envie d'être  impliqué dans leurs activités. Je n'apparais pas à la télévision, je ne  donne pas de conférence, je n'écris pas d'articles, je ne signe pas  d'exemplaires de mes livres, je ne suis membre d'aucun jury littéraire…  Je ne suis pas intéressé par faire autre chose qu'écrire. J'ai des amis  musiciens, artistes, illustrateurs. Mais pas d'écrivains. Je suis un  individu ordinaire qui écrit.  Et puis, vous savez, je suis occupé :  avec ma collection de disques, mes lectures, ma femme, mes chats, mes  activités sportives, mon écriture, aller boire une bière… que sais-je ?  Parfois, on me reproche de ne pas être "responsable socialement". Mais  je pense que ma vraie responsabilité sociale est d'écrire des romans.
 En février 2009, vous avez accepté le prix Jérusalem et dans  votre discours de récipiendaire vous avez condamné la violence d'Israël  contre la Palestine. Un engagement politique ?
 J'ai accepté ce prix pour ne pas décevoir mes lecteurs israéliens. Il  m'aurait été plus facile de refuser. Donc j'y suis allé et j'ai dit ce  que j'avais à dire. Mais je trouve cela épuisant. Ce fut une expérience  particulière dans ma vie.
 Quel est, selon vous, le rôle d'un écrivain aujourd'hui ?
 Ecrire de bons livres. Cela fait des milliers d'années que des  conteurs ou des romanciers racontent des histoires. Elles ont pour but  d'aider les gens à trouver un sens, à structurer leur esprit. On vit  dans un monde chaotique, violent. Pour survivre, il faut essayer de se  donner des valeurs repères. Autrefois, à l'âge des cavernes, il y avait  un conteur qui racontait des histoires et l'auditoire était emporté  ailleurs et peut-être amené à réfléchir, à conserver l'espoir que le  jour allait bientôt venir. Je pense toujours aux profondes ténèbres qui  nous entourent quand j'écris un roman. Bref, je crois au pouvoir des  bonnes histoires. Une fiction peut aider à révéler une parcelle de  vérité.
 Vos romans sont lus à travers le monde. Mais, à part le  plaisir qu'ils procurent au lecteur, qu'est-ce qu'ils apportent de plus ?
 Difficile à dire. Mes personnages sont des gens ordinaires, mes  lecteurs le sont aussi et je le suis également. C'est sans doute cette  connivence qui explique que je sois lu. Ce que j'apporte ? Quelque chose  en partage. Par exemple, mon dernier roman a été lu par un million de  Chinois alors que Pékin et Tokyo s'affrontent pour des questions  territoriales. Cela veut dire que des millions de Chinois et de Japonais  partagent quelque chose par l'entremise de ce livre.
 Beaucoup d'écrivains japonais, en tout cas de la génération  précédente, ont insisté sur les traits particuliers de leur culture. Ce  n'est pas votre cas. En quoi vous sentez-vous japonais ?
 Etre japonais, je ne sais pas ce que cela signifie. Je suis japonais  de nationalité. Mes parents sont japonais. Je suis né ici. J'écris en  japonais. J'aime les sushis… A part cela, je ne sais pas. J'ai découvert  que j'étais japonais lorsque je vivais aux Etats-Unis où l'on me  renvoyait sans cesse une image : celle d'"écrivain japonais". Est-ce si  important ? Sans doute la manière de penser, de regarder un paysage  sont-elles marquées par une culture. Mais je ne pense pas que clarifier  la différence soit si essentiel. C'est le message qui l'est – au-delà  des particularités réelles ou supposées d'une appartenance culturelle.
 Propos recueillis par Philippe Pons
Parcours
 1949 Haruki Murakami naît le 12 janvier à Kyoto.
1974 Il ouvre un club de jazz à Tokyo.
1979 Son premier roman, Ecoute le chant du vent, reçoit le prix Gunzo.
1988 Il voyage en Europe, puis s'établit aux Etats-Unis. Chroniques de l'oiseau à ressort (1992-1995. Seuil, 2001), prix Yomiuri.
1995 Retour au Japon. Après le tremblement de terre (1999. 10/18, 2002).
2006 Kafka sur le rivage (2002. Belfond, 2006) reçoit le prix Kafka.
2011 1Q84, à paraître en août chez Belfond. Sortie en salles de La Ballade de l'impossible, adapté par le cinéaste Tran Anh Hung.